C’est une anecdote que je partage parfois dans les échanges de pratiques, à la fois parce qu’elle est fair rire mes collègues, parce qu’elle illustre la confiance des personnes que nous accompagnons et aussi un peu pour parler des limites de cette exercice de la médiation et de comment en parler.
Un article qui parle de pénis et de médiation numérique, t’es sérieux ?
Et la réponse est assez étrangement oui. Pour autant je ne vais pas parler de pornographie en ligne mais de perception. A l’occasion de ma première expérience en temps que conseiller numérique j’ai eu la chance de travailler dans un Pimms. Les Pimms sont :Depuis près de 30 ans, les Pimms Médiation sont des lieux d’accueil ouverts à tous, interfaces de médiation entre les populations et les services publics. Fruits d’une volonté partagée entre l’Etat, les collectivités et les entreprises partenaires, 100 Pimms Médiation ont vu le jour – dont 92 sont labellisés France Services – au service des habitants et des territoires. Au total, ce sont près de 300 points de contact répartis sur l’ensemble du territoire national. Ce sont des lieux de proximité et de solidarité au sein desquels les agents médiateurs, professionnels du lien social, facilitent l’accès des personnes aux services nécessaires à la vie quotidienne. Les Pimms Médiation informent, orientent ou accompagnent les usagers dans leurs démarches administratives. Ils préviennent et aident à la résolution des conflits. Source : https://www.pimmsmediation.fr/La multiplicité des situations, des personnes accompagnées même s’il s’agissait pour une bonne partie de mes actions de médiation sociale plus que de médiation numérique a été très formateur, surtout dans l’accueil du public. Ce qui explique peut être aussi que j’ai pu “accepter de faire” cette médiation dont je vais parler : C’est donc dans ce cadre où une dame est venu un jour pour imprimer un document qu’elle avait pris en photo et qu’elle devait imprimer afin de répondre à une demande d’une administration. Demande plutôt urgente et aussi impactante pour la situation de cette famille. Jusque là rien que de très classique, les personnes stockent parfois un certain nombres d’informations sur leur téléphone, j’y reviendrais. Mais c’est là aussi que l’affaire s’est pour autant si dire corsée. Madame et monsieur utilisent whatsapp pour s’envoyer des messages et… des photos. L’une des pratiques numériques qui est apparue avec les smartphones est ce qu’on appelle en anglais le dickpic. Pour faire simple, un homme envoie une photo de son sexe à une personne qui le veut… ou pas. Cette pratique n’est en effet pas toujours consensuelle, ni appréciée par celle ou celui qui la reçoit. Ou dans mon cas celui qui la voit parce qu’elle est dans la galerie de photos du smartphone de madame. Et visiblement c’est quelque chose de fréquent pour ce couple puisque un bon 90% des photos… sont des photos de …monsieur. Une fois la surprise passée, je signale à madame que les photos sont visiblement d’ordre privé et que ça n’est pas très recommandé que je puisse y accéder. Elle tient alors à me préciser l’origine de ces images “c’est mon mari qui me les envoie” (merci de l’info, mais j’ai toujours les yeux qui saignent) et que elle a du prendre la photo du document… il y a quelques temps. Je recommande alors à madame de le retrouver à ma place et elle me répond : “Ah mais je vous fais confiance !”. Car pour madame, je suis suffisamment quelqu’un à qui elle pense pouvoir confier l’accès à la fois à son téléphone mais aussi… à cette sphère (trop) privée. Bien… pour tout vous dire on a fini par trouver le document, l’imprimer, tout ça… Mais, cela n’était pas spécialement de la médiation numérique vous allez me dire. Et vous n’avez pas tort.
Quand le médiateur numérique joue son rôle
Est ce que j’aurais pu mal réagir ? Je pense que madame était plus enclin à me placer dans cette situation parce que j’étais un homme et que mes collègues médiatrices n’auraient pas du tout accepté d’aller plus loin après cette rencontre inopinée avec ces images. Au delà de cette vision qui est peut être fausse, c’est sa réaction qui m’a inspiré réflexion. “Je vous fais confiance” Confiance au point de ne pas être gênée de me tendre son téléphone pour que je puisse la dépanner sachant ce que j’allais trouver. Il faut dire que parfois dans ces médiations qui étaient quand même principalement du domaine social plus que du numérique, les personnes se livraient parfois. Parce qu’elles savaient qu’elles seraient écoutées, entendues, de façon neutre et sans jugement, parce que c’est le principe même de la posture du médiateur. Du coup, on nous confie des histoires, des situations, des angoisses… le médiateur est à la fois un peu le psy et un peu le sauveur à leurs yeux, chez certains d’entre eux. Et il faut à la fois ramener ce rôle à sa dimension réelle (je vous écoute, mais je ne peux pas être plus qu’une écoute attentive et active), je vous aide (mais je ne vais pas résoudre les problèmes, même si parfois des personnes accompagnées repartaient d’une médiation libérés) mais cela s’arrête là. Nous faire confiance est important, nécessaire mais nous ne faisons qu’intervenir dans le cadre de notre travail. Lui rappeler ce cadre quand elle me fait cette demande, c’est aussi le travail du médiateur, parce que là… On avait un peu dépassé celui-ci. Au delà, le travail du médiateur ça a été aussi de lui expliquer comment faire pour que ces photos restent sur whatsapp et ne soient pas automatiquement déversées dans la galerie photo. Apprendre comment régler son application, lui rappeler que si elle m’avait passé son téléphone avec cette facilité, les images étaient très facilement accessibles, notamment si elle prêtait son téléphone à un proche, et plus problématique à un enfant, sans y prêter attention. Petit moment de prise de conscience pour elle. Petit retour dans le cadre de mon travail de médiateur numérique pour moi. C’est aussi revenir sur le fait de stocker des informations possiblement confidentielles sur son téléphone. Ce n’est pas que le cas du document de ce jour là que j’évoque mais une pratique rencontrée plusieurs fois d’avoir dans sa galerie photo sa carte d’identité recto verso, son titre de séjour, voire sa carte bleu. J’ai confiance en mon smartphone pour stocker ces informations et les avoir sous la main quand c’est pratique (mais je n’ai pas mis de verrou d’accès sur celui ci). Et mon travail est aussi de faire prendre conscience du danger de ces pratiques là aussi. Oui vous pouvez avoir le sentiment que c’est pratique, mais qu’il s’agisse d’informations confidentielles ou de photos coquines de votre conjoint, si vous perdez votre téléphone ou vous vous le faites voler, ces informations peuvent fuiter. Et se retourner contre vous. Une éducation à l’usage de l’image sur smartphone que j’évoquer parfois dans mes médiations ou dans mes ateliers mais qui mériterait peut être d’être plus généralisée.En conclusion, au delà de faire rire les collègues quand je la raconte
Après avoir ri ensemble de cette anecdote, certain(e)s de mes collègues considèrent que j’aurais du m’arrêter là. Je peux tout à fait comprendre leur sentiment, car la situation était assez limite et pouvait choquer. Il n’y a aucune moquerie quand je raconte ce moment, juste combien il est improbable, décalé. Il pose crûment la question d’où mettre la limite, comment réagir par rapport à des situations un peu limites comme celles-ci ? Aurais je dû laisser madame repartir sachant que quelqu’un d’autre allait peut être vivre cette même situation ? Sans parler du fait que de ne pas répondre à l’administration dans les temps allait entrainer des situations plus complexes ensuite? C’est de partager des expériences comme celles là dans des échanges de pratiques qui peut nous amener à étudier comment faire, quoi dire. Les médiations se passent parfois de façon beaucoup plus complexe, plus dramatique ou violente. Et il faut être préparé, avoir évoqué avec d’autres comment réagir, comment répondre, comment mettre fin à la médiation peut être. Comment prendre de la distance avec ce que l’on a vécu. Les médiateurs et médiatrices seuls à ce poste dans leur structure, n’ont pas nécessairement de collègues qui gèrent ce même type d’interactions avec les publics. Ces échanges me paraissent donc d’autant plus importants. Qu’ils soient formels ou pas. J’ai parfois eu l’occasion d’échanger avec des médiateurs plus aguerris que moi avec certains publics (comme des ados, merci Vincent Bernard) et leurs retours m’ont rassuré, informé, sur ce que je faisais et comment le faire. C’était quelque chose de fréquent avec mes collègues du Pimms, car la pratique était intégrée à notre quotidien. Mais un(e) médiateur(trice) qui est en poste dans une ou plusieurs structures et possiblement “seul(e)” sur son métier n’aura pas cette chance de pouvoir exprimer cela. J’aimerais encourager ces temps d’échanges en dehors des structures car nous avons un métier assez spécifique et partager expériences, idées, vécus nous permet de nous enrichir des idées, ressentis et vécus des autres et de progresser dans notre pratique.Pour en savoir plus :
- Au sujet des dick pics https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sans-oser-le-demander/qu-est-ce-qu-on-s-envoyait-avant-les-dick-pics-6647674
- Concernant le cadre de la médiation sociale (et du Pimms) https://www.pimmsmediationlyonmetropole.fr/wp-content/uploads/2022/07/20210903_Cadre-deontologique-Pimms-Mediation_A2_594x420mm_sans-filigrane_VD.pdf
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